Saturday, November 7, 2009

Voyages dans la nature et focusing

Dans ce qui suit, Ted répond à Nina Joy Lawrence qui nous demandait comment nous vivions le focusing au cours de notre voyage.

Bonjour Nina,

Merci de prendre le temps de «focuser» sur la nouvelle vie à deux de Diane et Ted. J'ai tenté d'écrire à quelques reprises depuis le début de notre voyage, mais je suis «partout à la fois». Tes questions brèves m’amènent à voir les choses dans une perspective plus restreinte qui je l’espère nous sera utile à tous les deux.

Je suis d’abord impressionné par la manière dont une grande partie de notre image de soi est tributaire d'un partenaire. J'ai passé sept ans en psychanalyse et beaucoup de temps en solitaire et je croyais assez bien me connaître. Il y a une certaine dignité dans la croisade solitaire, Cervantès et Don Quichotte ou L'homme de La Mancha me viennent à l'esprit. Je suppose que les écrivains en général peuvent nous donner beaucoup de choses précieuses à penser étant misérables eux-mêmes et ne se comprenant pas. Mais, dans la tâche d’améliorer la compréhension de soi, je suis persuadé que la relation intime avec un partenaire de vie sensible et pratiquant le Focusing est notre meilleure chance. Nous devons être très prudents, bien sûr, dans le choix dudit partenaire. De nombreux partenaires potentiels recherchent des boucs émissaires à blâmer pour tous leurs problèmes et ceux du monde ou ont des attentes (conscientes ou non) que quelqu'un d'autre parviendra à résoudre tous leurs problèmes s’ils le manipulent suffisamment. Cet aspect constitue pour moi le principal avantage de notre voyage jusqu'ici. Je vois certaines parties de moi-même avec une nouvelle clarté et quelques uns de ces aperçus sont très douloureux et inquiétants. J'ai cependant le sentiment qu'elles sont véridiques et ce sentiment s’accompagne d’un profond soulagement; j'ai au moins maintenant une meilleure idée de ce que sont les véritables enjeux. Une partie de cet effet provient de l’absence de musique, de lecture, de télévision, de cinéma ou autres activités sociales m’empêchant de faire face à la triste vérité. Il s’agit d’une sorte de privation sensorielle. Mais Diane est si perspicace et honnête que je me dois d’écouter très attentivement lorsqu’elle décrit ce qu’elle ressent.

Ma perception des couples en général est qu'ils ont tendance à stagner, l'un étant le membre dominant qui soutient ainsi ses fantasmes de toute-puissance / omniscience et l'autre devenant le bouc émissaire, qui tire son importance de ce rôle en étant le martyr. Nous avons essayé (avec succès je pense) d’éviter cette stagnation et de traiter chaque décision comme une opportunité d’enrichissement mutuel et une occasion d’utiliser le processus de Focusing.

Pour revenir à ton message, je suppose que les gens qui ont les «yeux vitreux» lorsqu’ils sont exposés pour la première fois au Focusing ont inconsciemment peur. Ils sont peut-être parvenus à une place dans leur vie où leurs craintes et leurs angoisses sont sous contrôle. Ils sont en mode de «désespoir tranquille» et souhaitent protéger l’image d’eux-mêmes, peut-être fragile, qu'ils se sont formée. Tu leur proposes un changement dangereux et ils se «ferment». Certaines personnes font la promotion du Focusing comme étant une manière nouvelle et amusante de parvenir à plus d'amour et de bonheur. J'ai été chaudement applaudi, cependant, lorsque j’ai mis l’accent, à New York, lors d’une présentation de Gendlin, sur le fait que les gens qui font du Focusing sont des héros. J'ai cité Kurt Goldstein, à l’effet que le seul véritable héroïsme qui nous est donné est la tolérance à l'ambiguïté. C'est le véritable test du courage, tout le reste n’est que futilité. Les «Focusers» doivent tolérer l'ambiguïté terrible d'être ouvert à un organisme qui sait parfois plus que ce que «nous» savons (en plus de ne pas prendre de décisions pour le partenaire.)

Je crains que ce ne soit un point aveugle du mouvement de Focusing qui pourrait être une sorte de talon d'Achille. Si un «focuser» n’attend que l'amour et le bonheur, c'est probablement ce qu'il ou elle suscitera chez les autres et trouvera dans le soi. Les craintes, les haines et les angoisses resteront ainsi probablement cachés dans l'inconscient et continueront de contrôler la plupart des comportements. La tentation de promouvoir le Focusing (comme c’est le cas dans d’autres programmes d’auto-développement tel le «Philosophy Works») comme étant une expérience heureuse est peut-être plus forte chez ceux qui tentent de générer un revenu de cette expérience. Les clients sont rarement disposés à payer pour quelque chose qui fait mal. On pourrait arguer que nous devons souligner l'aspect positif du Focusing afin qu’il soit socialement accepté et que les vérités douloureuses s’en dégageront par la suite au fil du temps. Nous devons également offrir un minimum de soutien aux gens qui ont les «yeux vitreux» afin qu’ils aient le courage d'essayer quelque chose de nouveau.

Cela nous mène à une de mes propres découvertes, au cours de ce voyage, d'une charge de colère et de peur que je n'avais pas suffisamment explorée. J'ai toujours eu des éclats de colère et de jurons lorsqu’une petite chose se détraque. Je prenais cette réaction pour acquise, elle me semblait normale. Diane, étant sensible et ouverte à ce que j’exprimais, m’a fait part de sa préoccupation à ce sujet (elle était la première personne à le faire). En portant attention à ce problème au fil du temps, en en parlant avec Di en cours de route, j'ai pu retracer une peur provenant de l’enfant que j’étais aux prises avec la peur d’un mal d'oreille qui refait surface, «pas mal de petites choses» avaient, à cette époque, mal tournées (l’inconscient ne reconnaît pas le passage du temps de la même la manière que notre esprit conscient le fait). D’autres éléments, tel le narcissisme et l’arrogance, sont amalgamés à ce comportement, mais je me limiterai ici à cet aspect. Et, ce n'est qu'un des résultats de cette vie commune ouverte et honnête. Les sentiments longtemps refoulés ont une occasion de se manifester.... et de participer au processus conscient de la vie. J’en parle d'une manière globale, sans certitude de pouvoir en généraliser l’application et conscient qu’il peut simplement s’agir d’un aspect unique d'un couple unique dans une situation unique.

Je suppose que vous pourriez dire que nous sommes un couple en processus, ce qui me semble déjà une sorte de progrès. Nous n’arrêterons probablement jamais de changer, nous précipitant vers des sentiments inattendus en nous et en l'autre pour ensuite tenter de voir comment ils nous affectent en tant que couple et comment nous pouvons répondre aux nouvelles expériences. Nous tentons d'être ouverts à la structure changeante de notre relation, nous essayons de ne pas la figer ou la rendre prédictible, afin de l'aider à se développer à sa propre manière unique et créative. Mais c'est difficile; bien que nous nous connaissions depuis deux ans, ceci est, pour chacun de nous, notre première aventure de vie commune 24 / 7 depuis très, très longtemps. Notre tente-roulotte est petite et étroite et Di travaille le matin de presque chaque jour ouvrable. Nous commençons et terminons chaque journée dans le lit de Di avec un quasi-Focusing sur l’oreiller (nous dormons dans des lits séparés par force de longue habitude). Nous vérifions d’abord comment s’est passée notre nuit ou notre journée et si nous avons le souvenir d’un rêve de la nuit que nous aimerions partager. Dans un Focusing plus structuré, j'ai plutôt tendance à trouver que mon corps n'a pas les bonnes réponses sur la façon de vivre la relation intime, il ne s’est jamais aventuré là auparavant. Nous explorons tous deux de nouveaux territoires en y ajoutant les joies et les déceptions qui parsèment notre route. La vie semble ainsi définitivement plus riche.

Une partie importante de notre vie, est notre exercice presque quotidien dans les régions les plus sauvages de la nature. La Nature, par sa qualité désordonnée et chaotique, tend à démentir notre illusion de contrôle civilisé sur les pouvoirs qui nous sont extérieurs. Dans la nature sauvage les arbres morts, les branches et la brousse reposent dans le désarroi. Mais la mort est associée à la renaissance et la vie nouvelle, tel le Phoenix, émerge de la destruction. La mort même, procure un nouvel aliment à la terre pour le bénéfice des générations futures. Et c'est peut-être ce que chacun d’entre nous peut espérer de mieux; que les effets de notre vie puissent en quelque sorte servir de guide vers la sagesse pour les générations futures. Il me semble que cet exercice dans la nature est susceptible d’ouvrir notre espace psychologique aussi bien que les pores de notre corps physique laissant entrer la grande vérité de la nature selon laquelle nous sommes tous insignifiants et, comme les vers de la chanson, My Old Kentucky Home, nous passerons et serons oublié comme le reste. Cela contraste avec le dessin ordonné des rues et des bâtiments de la ville ainsi que le contrôle du flux de trafic soutenant l'illusion du contrôle sur la nature, y compris la mort. Je crois que cela aide si nous faisons un exercice ardu. Lorsque nous nous heurtons à nos limites physiques, nous savons que nous ne sommes pas tout-puissant et si vous marchez assez longuement, vous serez exténués et donc désabusé de votre fantasme d'omniscience.

Nous nous concentrons donc sur l’ouverture, l’honnêteté et la sensibilité à l'autre autant que possible et sur notre entente à essayer différentes choses afin de voir ce qui fonctionne le mieux pour nous. Nous n'attendons pas de solutions parfaites. Mais même si je sais que, au fond de moi, quelque chose bouge et dans un cri étouffé: «Mais oui, je veux la perfection. Je me sens parfait et je mérite donc un monde parfait.» C'est une partie de nous tous, je crois. L'écrivain espagnol Unomuno caractérise cette partie lorsqu’il refuse de croire à toute autre vie, sauf une où son corps physique tout entier continuerait d'exister. Ernest Becker, dans l'ensemble de ses sept livres, mais avec beaucoup d'éloquence dans « The Denial of Death », expose le dilemme de l'homme typique. La meilleure chose à faire est de le reconnaître et le «mettre sur une étagère afin d’y porter attention plus tard.» Mais je m'égare. Ainsi, Diane et moi tentons de ne pas avoir d’attentes irréalistes tandis que nous luttons avec nos maladresses et nos découvertes et essayons d'accepter que nous ne sachions pas où nous allons et comment ça va se terminer. Nous détestons l'ambiguïté et la chérissons grandement en même temps car c'est la seule façon dont nous pouvons accomplir ce qu’il est en notre pouvoir d’accomplir. Nous essayons de laisser une ouverture sur l’avenir afin de ne pas fermer toutes possibilités créatives. Le partage de notre vision du couple avec d'autres tel que prévu au départ devra probablement attendre un peu, la barrière du langage est, à coup sûr, ici (au Québec) un problème pour moi.

J'espère que nous pourrons nous rendre en Oregon et te voir là-bas, Nina Joy.

Dans l’attente de ce moment,

Ted Cox

Traduction: Solange St-Pierre